vendredi 9 juin 2017

LES FEUILLES DU CHÊNES
Version François-Olivier

Depuis combien de temps Beñat et Maritxu attendaient-ils cet enfant qui ne venait jamais ? Tant d'années qu'ils en perdaient l'un et l'autre toute gaieté...

Un jour, alors qu'il bûcheronnait dans un bosquet de chênes, le pauvre Beñat s'exclama, les larmes aux yeux : 
"Diable ! Diable ! Diable ! N'arrivera-t-il jamais cet enfant tant désiré ?"

A peine avait-il prononcé ces mots de colère qu'un bel homme se tenait devant lui, tout de rouge vêtu, chaussé de fines bottes aux extrêmités si minuscules que des pieds humains n'y auraient jamais logé... Mais peut-être que des sabots fourchus... Sur sa tête, un grand chapeau qui ne couvrait nulle chevelure...

"Si fait, bûcheron, ta femme accouchera d'un bel enfant. Pendant 7 ans, il sera vôtre, mais, après, il sera mien. Dans 7 ans révolus, au jour de la Toussaint, tu m'amèneras ton fils dans ce même bosquet de chênes. Alors, il m'appartiendra à jamais..."

Le bûcheron n'avait pas pu prononcer un mot que déjà l'étranger avait disparu... Seule une légère odeur de souffre au coeur du bosquet de chênes attestait que tout cela n'était peut-être pas qu'une illusion diabolique...
Beñat rentra chez lui et oublia vite son mauvais rêve.

Peu de temps après, Maritxu se sentit lourde, son ventre s'arrondit peu à peu et, 9 mois plus tard, elle mit au monde un bien joli petit enfant.
Le gamin, bonheur de ses parents, grandissait en sagesse, en beauté... et en âge...


Les longues nuits de pleine lune, le mauvais rêve revenait et revenait labourer, sans cesse, le pauvre coeur de Beñat. Quand l'enfant entra dans sa septième année, ce fut plus terrible encore...

Au jour de la Toussaint, l'automne avançait à grands pas, les feuilles se détachaient une à une des branches.. et l'homme, la cognée sur l'épaule, marchait à pas lourds vers le bosquet de chênes...

Un éclair d'orage, une terrible odeur de souffre... l'étranger vêtu de rouge, était campé devant le bûcheron, le sourire narquois et les yeux brillants d'une lumière noire...
"Tu ne l'as point amené mon fils !"
Le bûcheron bredouillait, tergiversait, demandait grâce de quelques mois, quelques semaines, quelques jours même... 
"Tenez grand diable -car il fallait bien l'appeler par son nom- juste, oh, juste le temps que ce bosquet de chêne perde ses dernières feuilles... Je vous en conjure..."
Ricanant dans sa fine barbe de bouc, lorgnant les feuilles de chêne déjà jaunies, brunies, prêtes à tomber, le diable éclata d'un rire à vous glacer le sang.
"Il ne sera pas dit que le grand diable n'est pas généreux au-delà de l'imaginable. Accordé bûcheron, je viendrai prendre possession de mon fils lorsque la dernière feuille de ce bosquet de chênes sera à terre !"
Et le diable s'en alla dans un nuage de fumée jaunâtre à vous piquer les yeux pendant une semaine, qui brûla, brunit et racornit toutes les feuilles du bosquet.
Etait-ce de la magie, etait-ce que le rire terrible du diable avait réveillé le Bon Dieu en mal de miracle, était-ce Dame nature toute seule ? Voilà-t-il pas que toutes ces petites feuilles brûlées, recroquevillées, brunes comme carton sec s'accrochaient, s'accrochaient et ne tombaient point à terre...
Rien n'y faisait... Ni vent, ni gel, ni neige, ni grêle... Les petites feuilles s'accrochaient toujours.
Déjà pointait le printemps... Déjà, au bosquet de chênes, se déplaient les premières feuilles vertes alors que les dernières feuilles de l'an passé n'étaient pas encore à terre.

Le diable, furieux d'avoir été berné, dut abandonner sa proie et l'enfant put enfin grandir en paix entre son père et sa mère. Depuis ce temps-là il n'est pas rare d'apercevoir, au coeur de l'hiver, quelques chênes qui, en souvenir de cette année-là, gardent jusqu'au printemps, de petites feuilles racornies, recroquevillées, brunes comme le carton sec mais bien accrochées.




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